jeudi 23 janvier 2014

Non, être surdoué ce n'est pas "sympa" et je n'en suis pas fière.

NOTA BENE : Ce que j'écris dans cet article ne prétend pas être exhaustif, ni juste, ni s'appliquer à tout le monde. Je parle de la manière dont je ressens ma douance au quotidien, ajoutée à tous mes autres petits troubles psychologiques sympa (qui ne sont pas des auto-diagnostics mais des avis de professionnels). J'écris ceci sous le coup de la colère : je grossis sans doute certains traits et c'est probablement très confus. Je m'en excuse, mais quelque part il va falloir t'y habituer, lecteur, si tu veux que cette relation qui est la nôtre continue sereinement (non je déconne je n'aurai jamais de relation sereine, tkt, bisous)

Alors voilà.
Il est temps de hurler une fois pour toutes à la fin du monde : non, être surdoué, être zèbre, être un enfant précoce, ça n'a rien de facile.
D'abord, parce qu'on s'interdit de se déclarer en tant que tel, en tout cas je l'ai fait pendant plus de 10 ans, finissant par réussir à me persuader moi-même que j'étais normale. De peur que les gens jugent. Parce que oui, dire qu'on a un QI très élevé (beaucoup trop), ça fait poseur, ça fait vantard, ça fait supérieur. Ou qui se pense supérieur. 
Non, je ne me pense pas supérieure. Non, je ne suis pas fière d'être zèbre. Non, je ne suis pas heureuse de l'être. Mais je le suis. C'est scientifique, c'est aussi vérifié que la dépression. C'est quelque chose de réel. Non, je ne suis pas une mythomane avide de rabaisser les autres.

Premièrement, avoir un QI supérieur (en général largement supérieur) à la moyenne (on parle de Douance lorsqu'on a un QI de plus de 130, alors que la moyenne est de 85 à 115) ne veut pas nécessairement dire qu'on est plus intelligent. L'intelligence ne se mesure pas qu'au QI, mais aussi à l'ouverture d'esprit, à la capacité à apprendre, à la curiosité, à la volonté d'augmenter sa culture et à mille autres choses. Le QI ne mesure pas l'intelligence mais le potentiel et le développement des capacités intellectuelles. Un surdoué va penser différemment d'une personne "normale", c'est clair. La plupart d'entre nous (je m'inclus dans le groupe, mais je ne fais pas de généralité : chaque personne est différente) ont une pensée arborescente : chaque étape de la pensée, chaque idée, va faire bourgeonner et grandir toute une nouvelle gamme d'autres idées qui elles même s'étendent en d'autres idées etc. C'est un bordel sans nom, et cela m'a fait manquer de rigueur jusqu'à maintenant et m'oblige à faire beaucoup plus d'effort que quelqu'un avec une pensée non arborescente pour avoir un raisonnement cohérent, synthétique, et qui se tient. Sans parler du fait qu'on dit souvent que le surdoué est 'trop intelligent pour être heureux'. Ça n'y est pas pour rien dans mes insomnies. Ça n'y est pas pour rien dans le fait qu'à l'âge où je parlais à peine je posais déjà des questions sur la mort et je faisais des cauchemars éveillés et des crises d'angoisse en pensant que j'allais aller en enfer (j'ai eu un genre de crise mystique à 10 ans, j'ai lu la bible et tous les bouquins catholiques que j'ai pu trouver, et je me considérais comme un horrible monstre. Mon rapport avec la religion a toujours été compliqué disons). 

Deuxièmement, être "zèbre", ce n'est pas seulement une question de QI. C'est aussi toute une gamme de conséquences plus ou moins sympa qu'il faut supporter au quotidien. Personnellement, je suis atteinte du syndrome dit "du monde intense" aussi appelé "Désintégration positive", théorisé par un certain Kazimierz Dabrowski vers le milieu du 20ème siècle. La notion principale de ce syndrome est en fait ce qu'il appelle "l'hyperstimulabilité" qui se décline en cinq sortes.
- L'hyperstimulabilité émotionnelle, qui, en gros, se manifeste par une hyperémotivité et une hyperempathie parfois handicapantes, d'autant plus qu'elles ont souvent des effets physiques : serrement de coeur, noeuds dans le ventre, coeur battant, mains moites, rougissements et tics nerveux en sont les principales manifestations. Une personne émotionnellement hyperstimulable ressent les émotions de la vie courante bien plus fort que n'importe qui d'autre. À cela s'ajoute un attachement fort et rapide aux gens, aux lieux, aux objets et aux animaux et parfois une grande difficulté à s'adapter au changement lorsque celui ci doit être définitif, mais aussi une manifestation très bruyante et démonstrative de ces émotions : euphorie, inhibition, extase, humour, culpabilité, honte, mémoire affective, préoccupations à propos de la mort, et enfin humeurs dépressives et suicidaires, le tout à un niveau difficilement supportable pour la personne concernée mais aussi pour l'entourage. Sans parler des dialogues internes très violents et de l'autocritique virulente dont on fait parfois montre.
- L'hyperstimulabilité intellectuelle : qu'on pourrait résumer par "une forte tendance à vouloir tout savoir, tout comprendre, et surtout à se compliquer la vie". Elle se manifeste par une lecture avide, une volonté d'avoir des connaissances dans tous les domaines quitte à ce qu'elles soient superficielles, à une grande détresse en cas d'incompréhension ou de chose inexplicable, une tendance aux questionnements profonds, à s'occuper le cerveau en faisant des choses inutiles (compter ses cheveux, le nombre de pavés, lire à l'envers, s'inventer et résoudre des énigmes, etc.), une tendance à tout surinterpréter (particulièrement le comportement d'autrui), à créer et consommer des théories, à affirmer une pensée indépendante, à des interrogations morales et à l'introspection. Je vous laisse imaginer comment c'est le bordel quotidien dans ma tête et pourquoi je ne dors pas. 
- L'hyperstimulabilité imaginative, qui est, pour moi, la plus agréable à vivre. Il s'agit tout bonnement de vivre dans son monde (oui, un peu comme les autistes, sans la difficulté à communiquer), à s'inventer des univers, des religions, à mystifier et magnifier les choses, à se perdre dans des rêveries tellement élaborées qu'elles peuvent prendre le pas sur tout le reste. C'est aussi manifeste par une utilisation plus qu'abusive des métaphores et images afin de pouvoir tout visualiser (même les idées et systèmes les plus complexes), mais aussi parfois à une difficulté à se concentrer sur les choses concrètes et importantes, ainsi qu'à distinguer la réalité du rêve et de la fiction (crédulité, si tu me lis). On en revient à la pensée arborescente, aux associations d'idées et aux analogies qui peuvent parfois sembler n'avoir pas lieu d'être. 
- L'hyperstimulabilité sensorielle. C'est là que ça va devenir intime, et presque gênant, mais yala comme dit M.I.A. D'abord, l'hyperstimulabilité sensorielle se manifeste par des sens très développés : une sensibilité extrême aux sons aigus, répétitifs, réguliers, désagréables, au brouhaha, aux gens qui parlent fort, aux conversations avec beaucoup de monde, aux grincements, aux bruits du papier mais aussi parfois (et c'est mon cas) de sa propre respiration (et ça peut être agréable parfois comme absolument invivable à d'autres moments), où au fait de s'entendre mâcher (sans parler des bruits plus ou moins sympa qu'on entend tous les jours y compris dans les moments les plus intimes). Des yeux très sensibles aussi, à la lumière, aux courants d'air, à la poussière, à la fumée, aux intempéries, à la sécheresse, aux couleurs trop vives, aux images trop rapides et aux effets spéciaux parfois. Le goût et l'odorat ont aussi leur lot de petits troubles quotidiens, comme par exemple remarquer instantanément les mauvaises odeur : transpiration, tabac froid, odeur de la maison quand on est parti quelques jours mais que d'autres gens sont venus, odeur d'une femme qui a ses règles (et oui, et je vous raconte même pas comment c'est quand j'ai les miennes), odeur de quelqu'un qui traîne dans une pièce longtemps après son départ, goûts exacerbés mais parfois impossibilité de manger si on a senti un arrière goût désagréable, dégoût facile. mais dans mon cas, c'est très certainement le toucher qui me pose le plus de problèmes (avec la vue) : j'ai tout simplement la sensation d'être écorchée vive : je ne supporte pas les vêtements qui grattent, même juste un peu, je peux aller jusqu'à faire des crises d'angoisse ou de larmes à cause de ça, j'ai déjà fait une crise de panique en essayant des chaussures dans un magasin parce qu'elles m'étaient trop petites, je ne supporte pas de porter une montre, de rester assise trop longtemps avec un collant, le moindre plis de mes chaussettes, j'ai beaucoup de mal à porter des gants, le contact avec des choses comme des craies, la peau de certains fruits, certains tissus, d'avoir les mains un peu humides, et je suis capable d'avoir une réaction extrêmement violente si quelqu'un me touche alors que je ne m'y attendais pas ou que je n'en ai pas envie. J'ai aussi une incapacité physique à supporter la chaleur : pour moi, au delà de 30°C (et encore), c'est le malaise assuré. C'est sans parler de la difficulté à supporter la foule que tu connais sûrement, lecteur. Ajoutons à cela une forte tendance à la boulimie (que dans ma cyclothymie je contrebalance par des phases anorexiques), aux achats compulsifs et à avoir une sexualité débridée (quitte à se dégoûter par la suite). Parfois aussi un besoin malsain et exacerbé d'attention.
- l'hyperstimulabilité psychomotrice : celle-ci se caractérise par l'activité corporelle. C'est à dire par une tendance à parler vite et fort (quitte à s'insupporter physiquement ensuite), une activité physique intense (sport, tendance à marcher très vite, à se mettre à courir sans raison, parfois à se mettre en colère physiquement sans raison pour évacuer la tension), un manque de patience et une pression à l'action (avec tendance à organiser et à prendre la tête des groupes). Mais aussi par une tendance compulsive et nerveuse à la parole et à la discussion, aux actions impulsives, aux habitudes nerveuses et aux TOCs, à l'insomnie ou à se coucher tard, à l'hyperactivité et à la difficulté de se concentrer longtemps (TDA/H : trouble de l'attention, hyperactivité). 

Attention toutefois, pas d'amalgames : tous les surdoués ne sont pas atteint de ceci, et tous les gens hyperstimulables ne sont pas surdoués. C'est simplement (malheureusement) mon cas. 
Autant vous dire que je ne vis pas et je ne perçois pas le monde comme quelqu'un d'autre. Ajoutez à ceci ma cyclothymie et mes diverses phobies, et je peux vous assurer qu'une simple journée routinière contient pour moi de nombreux obstacles. Je ne demande pas de comprendre, simplement de ne pas juger. 
Je ne me plains pas, il y a pire que moi et je le sais. Simplement, ceci explique cela, le monde extérieur est pour moi extrêmement pregnant et difficile à affronter, mais il est ma seule échappatoire au questionnement que je subis (en quelque sorte) constamment. Bien sûr, je ne peux pas en un seul article faire le tour de ma tête. Tu n'es pas mon psy, internet. 

Et pour finir, j'aimerais simplement te laisser un petit passage d'un article sur l'une des théories de Dabrowski, qui s'applique plutôt pas mal à mon cas, et surtout qui me donne un peu d'espoir. Et surtout, sois en certain, je ne suis ni heureuse ni fière d'être zèbre, mais c'est quelque chose que je vis au quotidien et que j'assume (maintenant), et ne t'inquiète pas, lecteur, je ne te soûlerai plus trop avec ça.

"Les surdoués exploitent et sont galvanisés par ce que Dabrowski appelle réalité théorique7). La réalité perçue par les sens (l'ici et maintenant de l'existence banale) n'est qu'une réalité (parmi d'autres). Les esprits exceptionnels accèdent naturellement à des niveaux plus puissants de fantasme, d'imagination et d'intuition. Dans ce milieu riche, ils résolvent des problèmes, découvrent de nouvelles perspectives et créent sur un niveau d'abstraction séparé du monde de la perception sensorielle directe. Pour ceux qui disposent de la sensibilité morale, d'immenses pouvoirs d'imagination, d'une riche vie affective, et d'un besoin absolu pour la recherche intellectuelle, cette réalité théorique est plus réelle, plus compréhensible et de plus d'importance que la réalité de la vie quotidienne. Dabrowski a écrit: « L'ajustement à ce “qui devrait être” est chez certains individus plus fort que leur ajustement à “ce qui est” ». Pour eux, le développement est modulé par l'interpénétration des expériences de désintégration et d'intégration, façonnant la fonction intellectuelle en la mettant en relation avec les émotions de plus haut niveau. Cela crée une structure intégrée de la conscience de haut niveau où la pensée et les ressentis s'associent et se co-déterminent. Une transformation de développement supplémentaire se produit lorsque l'intuition de haut niveau est activée et promue, créant une synthèse dynamique permanente de ce qui est directement ressenti de manière intuitive. Ce fonctionnement à plusieurs niveaux et cette dynamique de développement, bien que rare, est un processus évolutif naturel pour les individus surdoués."

4 commentaires:

  1. Je ne pensais jamais trouver une personne comme moi, je me suis reconnu dans presque tout se que tu as dit et c'est vrai que c'est parfois un enfer de Vivre comme ça. La plupart des gens ne comprennent pas comment on pense et on vie. Merci d'avoir partager ça avec nous !

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  3. merci pour ce témoignage dans les méandres de ta pensée et de ton univers intérieur ; je me reconnais aussi beaucoup dans tout ce que tu décris. Pour cause, je suis aussi TDA, mais je ne sais pas si je suis surdouée. J'aurais voulu marcher dans un monde qui peut comprendre les gens comme nous, qui ont une vie intérieure si riche, une pensée indomptable. Au lieu de ça, je vis dans un monde aseptisé. Les livres sont mon seul refuge : une ouverture sur êtres et des univers tels qu'il sont, pleins de leurs richesses intérieures, de leurs failles, de leurs mondes imaginaires... Tout ce qui manque à ce monde normalisé et normalisateur. Bon courage pour ton chemin de vie, je te souhaite d'arriver à voir une vie qui te ressemble

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  4. merci pour ce témoignage dans les méandres de ta pensée et de ton univers intérieur ; je me reconnais aussi beaucoup dans tout ce que tu décris. Pour cause, je suis aussi TDA, mais je ne sais pas si je suis surdouée. J'aurais voulu marcher dans un monde qui peut comprendre les gens comme nous, qui ont une vie intérieure si riche, une pensée indomptable. Au lieu de ça, je vis dans un monde aseptisé. Les livres sont mon seul refuge : une ouverture sur êtres et des univers tels qu'il sont, pleins de leurs richesses intérieures, de leurs failles, de leurs mondes imaginaires... Tout ce qui manque à ce monde normalisé et normalisateur. Bon courage pour ton chemin de vie, je te souhaite d'arriver à voir une vie qui te ressemble

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